Le mélèze en feu


Quand on était enfants, le soir du 1er août, on attendait d'entendre les premiers feux d'artifice pour quitter la maison. On savait alors que le discours avait déjà été prononcé sur la place des Mayens, par le Président, et le discours, nous, ça ne nous intéressait pas. C'était les vacances d'été - les grandes vacances - au chalet, dans la montagne, et ce qu'on voulait voir, c'était les feux d'artifice et le mélèze en feu. Alors devant le chalet, on allumait nos lampions en papier qu'on fixait avec du fil de fer au bout d'une baguette en bois. La bougie ne tenait jamais bien droit et finissait toujours par brûler le lampion en créant des monstres de cire et de suie sur le papier coloré: des loups, des dragons et des ours. Dans la forêt, on suivait nos lampions dans le noir et on se bagarrait un peu pour savoir qui allumerait la première allumette de Bengale.

Sur la place, après les discours et les feux d'artifice, les gens des Mayens mettaient le feu à un vieux mélèze sec: c'était ce que je préférais le soir du 1er août. Je n'ai jamais compris la fête, mais j'aimais le mélèze en feu. J'aimais son odeur, sa chaleur, sa lumière. J'aimais les craquements qui semblaient ouvrir des interstices vers l'enfer et lancer des étincelles chuchotantes vers le ciel. J'aimais sans le savoir la solennité et la mélancolie de cet instant où sous mes yeux d'enfant, le temps devenait cendre en un acte grandiose et cathartique empreint de sagesse montagnarde: une invitation quasi mystique à l'humilité.

Le lendemain matin, on enfilait nos habits qui sentaient la fumée froide, on passait nos doigts noircis sous l'eau froide, on se bagarrait un peu pour savoir qui allumerait la dernière allumette de Bengale et on insistait pour garder à la cave, jusqu'à l'année prochaine, le lampion abîmé avec ses monstres de cire et de suie.

Joëlle Valterio
1er août 2018